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La cathédrale Notre-Dame

Août 2020, La transhumance estivale habituelle plonge Paris dans un calme olympien, l’occasion pour moi de prendre possession de la ville désertée et vidée par le COVID.
Il est presque 11h, lune nouvelle vague d’orages vient de rincer le décor,  je m’équipe léger pour une randonnée 100% urbaine. Choisissant l’improvisation sans toutefois tomber dans l’errance, je décide de relier le Bois de Boulogne au Bois de Vincennes par la grande diagonale Ouest-Est soit une vingtaine de kilomètres.

Je rejoins les quais de la Seine à Neuilly puis m’enfonce dans la banlieue chic par le quartier St James. Pas âme qui vive, j’imagine que ses habitants doivent buller entre Ramatuelle, le Cap Ferret ou l’île de Ré. Le Jardin d’Acclimatation n’est pas plus animé et les employés de l’accueil désœuvrés discutent sur le trottoir en attendant quelques visiteurs miraculeux.. Car cette année le covid 19 a hélas fini de vider la capitale de ses touristes en la plongeant dans l’ennui. Je longe le Bois de Boulogne jusqu’à la Porte Maillot.

Le petit train menant au Parc s’attraction a été remisé en attendant des jours meilleurs. Je fais une pose casse-croute dans le square Alexandre et René Parodi, compagnons de la Libération. Le Monument 100% inox Vent des Batailles dédié au Général Koenig y siège majestueusement et domine la place en travaux gigantesque depuis des mois. La future gare du RER E entrera en service vers 2022. Au bout de l’avenue de la Grande Armée, l’Arc de Triomphe disperse ses avenues sur les quatre horizons, elles aussi désertées. La circulation habituellement chaotique de la place de l’Etoile n’est plus qu’un souvenir. Je prends l’avenue Marceau jusqu’au Pont de l’Alma. Surprise hallucinatoire, le restaurant  libanais le Nourot connait une belle affluence. Les Parisiens privés de voyage s’offrent sans doute ici une touche raffinée d’exotisme moyen-orientale, celle d’un pays récemment meurtri par l’explosion du port de Beyrouth.

Planté sur sa pile de pont le fameux Zouave n’a jamais eu les pieds autant à sec tant la sécheresse affecte le niveau du fleuve. Je descends sur le quai rive gauche rendu aux piétons depuis des lustres et mets le cap à l‘Est. Un soleil inonde maintenant la ville, l’air est frais, l’Apple Watch indique une moyenne 11’54 au km, le rythme est bon . Sur l’autre rive, le port des Bateaux Mouche ne connait pas non plus l’effervescence habituelle des déferlantes touristiques et les bateaux- bus à moitié vides partent faire leur tournée des iles. Il est plus de midi mais les bistrots du quai ne font pas recettes. Les joggers et skaters de la passerelle Senghor ont désertés et mes amis du backgammon ne sont pas encore venus en découdre sur les tables de jeu du  petit restau italien. Je passe mon chemin pour aller inspecter les travaux d’avancement de Notre-Dame. Le démontage de l’échafaudage calciné par l’incendie avance bien, plusieurs mois seront toutefois encore nécessaires pour l’achever.

Les bouquinistes du quai n’ont d’autre activité que de bouquiner. Je traverse le long square verdoyant vers le pont d’Austerlitz parsemés de sculptures contemporaines, le quai semble ici  s’animer  de quelques visiteurs entre bronzette et causette .  Je passe alors sous la Cité de la Mode et du Design, un ancien entrepôt remodelé qui fut jadis le repère crasseux de junkies et clochards en tous genres. Seuls quelques tags éclairent ce passage désormais aseptisé  et ouvert aux promeneurs. Le nez en l’air, je me pâme sur mon chemin devant le bel ouvrage des passerelles et ponts  du métro des années 1900. Le spectacle de la déchèterie de la brigade fluviale est moins reluisant . Des dizaines de Vélib et trottinettes repêchés par les plongeurs sont entassés sur la berge. Le libre-service parisien dans toute sa splendeur !

J‘emprunte l’aérienne passerelle Simone de Beauvoir pour franchir  la Seine vers le joli  Parc de Bercy. Les innombrables restaus du Village attirent ici miraculeusement du monde. Puis je passe sous les voies SNCF , passage toujours aussi glauque, afin de prendre l’interminable rue Wattignies et rejoindre la pelouse de Reuilly, siège de la Foire du Trône du monde d’avant. En termes de pelouse, l’endroit n’en a plus que le nom. La canicule a grillé totalement les espaces verts et les arbres se sont débarrassé de la moitié de leur feuillage pour survivre. Quelques barques naviguent mollement sur le lac Daumesnil où les oies Bernache tirent des bords sereins. Je prolonge cette tranquillité dominicale hors du temps en bouclant le tour de la pièce d’eau avec en ligne de mire le marchand de glaces installés depuis mon enfance devant le Musée Nationale de l’Immigration.

Ce pur bijou Art Déco fut  d’abord « musée des Colonies » de 1931 à 1935 — avec sa dédicace d’inauguration « À la France colonisatrice et civilisatrice ».  Il changera plusieurs fois de nom : « musée des Colonies et de la France extérieure » en 1932, « musée de la France d’outre-mer » en 1935, « musée des Arts africains et océaniens » en 1960 et « musée national des Arts d’Afrique et d’Océanie » de 1990 à 2003, année au cours de laquelle le musée ferme ses portes. Tournons vite cette page d’histoire, et terminons cette randonnée urbaine de l’été 2020 part une énorme gelato  italiano vanille-fraise sur le trottoir en face de l’auguste bâtisse ! (Notez que je n’eus aucun scrupule à l’engloutir avant de plonger dans le métro, le podomètre indiquant 22,64 km pour une dépense calorique de 1658 Kcal !!). Paris étrangement déserté ne manque pas de charme et je vous invite à y errer dans les grandes largeurs en profitant pleinement de cette tranquillité surréaliste, rare, éphémère .

Richard Kirsch



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