- Tu ne veux pas
marcher vers Assise ?
Cette phrase, le rédacteur en chef
l’avait sans doute depuis un moment sur les lèvres. Rarement une
phrase aussi simple n’aura parue si encombrante. Il aurait fallu se
réjouir, mais à l’écoute des quelques mots lancés comme un
défi, surgirent toutes sortes d’images désagréables : des
soirées solitaires et des lits de fortune ; l’odeur aigre des
aisselles en fin de journée et le bruit des alaises en plastique
dans les chambres d’hôtel ; le crépitement de la pluie sur le
coupe-vent et les crocs des chiens évités de justesse au sortir des
hameaux. La proposition condamnait à l’optimisme indispensable au
cheminement pédestre. Elle augurait de la sérénité qu’il
faudrait faire mine d’arborer à force d’avancer vers un lieu
saint, et imposait un minimum de tranquillité vis-à-vis des
vicissitudes du chemin. Pire, elle laissait entendre qu’un petit
homme comme moi était légitime à partir se frotter à la dimension
du monde : il faudrait avancer le pied allègre et le cœur léger,
le doute serait considéré comme importun. Dans la liste des
réjouissances, il y avait certes bon nombre d’églises
merveilleuses et de mamies très chrétiennes, mais moi, je n’étais
pas si catholique que ça…
Olivier Lemire |